Avec près de 190 000 places d’hébergement en fonctionnement et l’ouverture de 9 000 places d’hébergement hivernal depuis le 18 octobre, date de démarrage du plan hiver, la mobilisation de l’État et des associations est forte pour héberger et accompagner les personnes à la rue dans un contexte de crise sanitaire qui pénalise durement les populations les plus exclues. Pour autant, la situation reste toujours aussi dramatique pour un nombre très important de personnes à la rue ou mal-logées :
Le 13 novembre, 3500 personnes (dont un millier sur Paris) ont appelé le 115 sans obtenir de place d’hébergement. Dans les grandes villes, et contrairement au premier confinement, les chiffres du 115 montrent un taux de demandes non pourvues avoisinant les 80 à 90%. En journée, les contraintes liées aux mesures sanitaires diminuent les capacités de prise en charge des accueils de jour, avec des personnes qui se retrouvent à la rue toute la journée, en rupture d’accompagnement et de lien social. Dans ce contexte de pénurie, le principe d’accueil inconditionnel et celui de la continuité de l’accueil, sont quotidiennement remis en cause.
Dans les mois à venir, l’affaiblissement des ressources conjugué à l’augmentation des charges liées au logement risque de mettre de nombreux locataires en difficulté pour payer leurs quittances de loyer et leurs factures d’énergie, faisant craindre une vague d’expulsions importantes dans les mois qui suivront la fin de la trêve des expulsions locatives, en avril 2021. Ces expulsions risquent d’intervenir alors même que le nombre de personnes sans domicile, qui a doublé depuis 2012, concerne aujourd’hui environ 300 000 personnes (selon la définition donnée par l’INSEE des personnes SDF comprenant les personnes à la rue, hébergées ou vivant dans un abri de fortune), que le nombre de relogements de personnes sans domicile reste très en deçà des besoins et que le parc d’hébergement est complètement saturé.
Sans autre alternative, plus de 16 000 personnes vivent aujourd’hui en bidonville dans la plus grande précarité, et dans la peur d’une expulsion signifiant un retour à la rue. Les expulsions de campements, squats et bidonvilles ont repris de manière accélérée depuis l’été jusqu’à la trêve hivernale : selon l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels, parmi les 1 079 expulsions depuis le 31 octobre 2019 – dont 699 depuis le début de la crise sanitaire – 90 % n’ont pas été suivies d’une solution de logement ni d’hébergement. Lorsque des propositions sont faites, il s’agit majoritairement de mises à l’abri temporaire, qui ne permettent pas aux personnes expulsées de sortir durablement de la précarité, de se projeter et de s’ancrer dans un lieu de vie pérenne. Le 17 novembre, selon le communiqué de la préfecture, 3 000 personnes ont été évacuées d’un campement en Seine-Saint-Denis, pour être “mises à l’abri” dans des hébergements d’urgence ou en gymnase, une solution inadaptée dans le contexte sanitaire et contraire aux instructions gouvernementales du 3 novembre. Cette opération particulièrement violente a laissé plus de 500 personnes dans la rue sans solution.
La précarité a un impact direct sur la santé des personnes vivant à la rue. Selon le Collectif des morts de la rue, au moins 659 personnes sont décédées en 2019 à un âge particulièrement jeune, 50 ans en moyenne contre 79 ans en population générale. Chaque année, plus de 10 000 personnes ne disposant pas de logement et atteintes par une ou plusieurs pathologies graves demandent à être admises en appartement de coordination thérapeutique sans succès, faute de places disponibles.
Enfin, malgré un engagement fort de l’Etat et des associations pour renforcer les distributions alimentaires et distribuer des chèques services aux ménages précaires, la demande de produits d’alimentation et d’hygiène ne diminue pas depuis le premier confinement. De nouveaux publics, jeunes, familles monoparentales, travailleurs précaires sollicitent ces distributions et témoignent de la paupérisation d’une partie importante de la population.
Dans un tel contexte, il est impératif de répondre aux urgences sociales en garantissant l’hébergement inconditionnel et l’accompagnement de toutes les personnes à la rue, tout en développant des solutions ambitieuses à court et moyen termes pour garantir à chaque personne un logement digne et pérenne. Or, en ajoutant les aides exceptionnelles annoncées par le 1er Ministre le 24 octobre dernier, le plan de relance dédie moins de 3 % des 100 milliards d’euros aux plus précaires, un grand nombre de jeunes restent sans ressource faute d’accès au Rsa, les attributions de logement sociaux sont au plus bas (- 100 000 en 2020), la production neuve de logement sociaux est à la baisse, en raison notamment des ponctions infligées aux bailleurs sociaux, et l’écart entre les bas revenus et les coûts liés au logement est de plus en plus difficile à combler en raison des coupes dans les aides personnelles au logement (APL).
Pour mettre durablement fin au sans-abrisme, il est indispensable d’investir massivement dans une politique ambitieuse de Logement d’abord et d’aller au-delà des objectifs fixés dans le cadre du plan quinquennal de 2017 ; cela afin d’accompagner vers le logement toutes les personnes actuellement hébergées et les personnes à la rue, mais aussi de relancer la construction de logements à vocation sociale à très bas loyer, ce qui constituera par ailleurs un levier majeur de création d’emplois et de croissance économique au service de l’intérêt général en temps de crise.